Sors de ta tête. Fais. Sois.
J’ai 22 ans. Je suis une femme. Mon orientation sexuelle n’a pas grande importance puisqu’elle varie au gré de mes envies et de mon taux d’épuisement vis-à-vis de la gente masculine. On me dit souvent au niveau professionnel que l’une de mes qualités est mon souci de bien faire. Mon rôle BDSM ? À déterminer. Somme toute plein de douces expériences en prévision. Mon seul souci étant qu’elles soient méticuleuses.
J’ai eu une curiosité de la violence dans le rapport sexuel il y a de nombreuses années déjà. J’écrivais beaucoup (les choses n’ont pas changé), des pages et des pages qui se sont perdues dans des ordinateurs ou des disques durs externes au gré des évolutions techniques. Je serais bien embarrassée de devoir m’en justifier aujourd’hui si jamais elles revoyaient la lumière du jour. Et à l’écriture s’ajoutait la lecture. Comme pour beaucoup, Cinquante Nuances de Grey a eu cet avantage indéniable de venir mettre des mots sur ces fantasmes. Génération internet, j’ai eu aussi très vite accès aux ouvrages du web. Et plus je lisais, plus je voulais savoir.
L’univers BDSM me fascinait. Un monde opaque, presque accessible du bout des doigts. Qu’y voulais-je vraiment ? J’avais pu m’identifier autant à Anastasia de Cinquante Nuances, qu’à Katsuki ou Izuku dans We Wear Chains on the Weekends. D’expérience je savais aimer être dominée dans une certaine mesure. D’expérience aussi, j’avais eu des gestes ou des pulsions Dominantes pendant certains rapports. Je voulais en savoir plus sur moi. Sur le BDSM et sur ses ressources.
Les choses se sont accélérées à la rentrée. J’ai rencontré un mec qui m’a plu, chose rare. Nous avons couché ensemble et ça se passait bien, chose encore plus rare. Très rapidement nous avons parlé de kinks. Je lui ai envoyé ma liste. Il se définissait comme Dominant, je voulais essayer. Je lui plaisais, il me plaisait. Finalement il n’a rien mis en place de son côté et puis il a déménagé. Je ne suis pas de nature à larmoyer, et encore moins pour les personnes qui ne sont pas fiables, mais j’étais déçue.
Je me suis donc inscrite sur des sites spécialisés, et alors ça a été le tourbillon. Je crois n’y avoir croisé que des hommes. Soumis, Dominants, switch, et tout le spectre des rôles que je ne maîtrise pas encore bien. Tous venaient me parler. Pendant une semaine ou deux je me suis amusée à endosser différents rôles, à jouer le jeu, et puis finalement je me suis profondément ennuyée.
Presque tous étaient lourds. D’autres franchement dangereux. J’ai donc décidé de deux critères pour mon premier essai au BDSM :
- Être dans un cadre sécurisé et sécurisant
- Faire intervenir une femme
C’est dans ces conditions que je suis arrivée sur le site d’Inanna Justice. Le temps que mes réflexions m’y amènent il était tard. Bleue et frustrée ses articles m’ont tout de suite plu. Les sources d’information fiables sur le BDSM sont rares, et encore plus en français. Inanna et moi en avons parlé lors d’un échange. Son site était une mine d’or. Vous l’aurez compris elle remplissait mes deux critères. Ils sont basiques me diriez-vous et vous auriez raison. Donc non-négociables.
Je me suis bien sûr renseignée à propos d’autres Dommes, mais Inanna me plaisait. Elle était investie pleinement dans la communauté. (Elle m’a depuis envoyé divers sources et plans sur Paris, avec ses recommandations et explications.) L’engagement associatif est une activité qui m’a beaucoup marquée ces dernières années et j’y ai reconnu la marque d’une personne qui pourrait me plaire aussi sur le plan de la personnalité. Par ailleurs, ma famille ayant souffert à diverses occasions de sujets traitant de la prostitution, tous ces éléments m’ont permis de confirmer que je ne m’adressais pas à un réseau proliférant de l’esclavage. Elle était libre et éclairée, ce qui est en fait la définition légale du consentement.
C’était essentiel. Ça a tout changé pour moi.
Je l’ai contactée. J’ai reçu une réponse dès le lendemain.
Inanna Justice est une professionnelle. Elle est réactive, ponctuelle, et claire dans ses propos. Nous avons échangé par email, puis par visio, et avons déterminé une date de séance. Le jour J est arrivé.
Bien sûr j’étais stressée. Ma meilleure amie était au courant. Mes papiers d’identité et ma carte de groupe sanguin étaient dans mon sac au cas où il y ait le moindre imprévu et qu’il ait fallu contacter les urgences (j’ai le sens du mélodrame et une imagination prolifique). Propre, curieuse, ne sachant pas exactement à quoi m’attendre et tout en même temps ayant relu par trois fois le questionnaire que je lui avais envoyé, l’heure est arrivée. Inanna m’a donnée les codes d’accès, je suis montée jusqu’à l’appartement, elle m’a reçue.
Par visio elle avait été belle. En réalité elle était impressionnante. Elle souriait en grand, elle avait les yeux bleus. Il m’a fallu un temps pour réaliser qu’elle était en talons et qu’en fait nous avions le même gabarit. Ça m’a amusée. J’étais venue en sweatshirt large pour éviter les sifflements éventuels dans la rue, donc mal habillée. J’ai aussi pensé qu’elle s’en fichait éperdument puisque de là quelques minutes il ne serait plus question de vêtements du tout.
Inanna m’a alors invitée à m’assoir, lui parler a été très facile. J’ai bu un peu d’eau. Ça m’a calmée. J’en ai presque oublié de lui remettre l’enveloppe de son paiement, moment particulièrement gênant. Nous avons discuté un peu plus, puis elle m’a proposée d’aller à la douche. L’eau chaude sur mes épaules et mon visage a fini de me détendre. Je suis passée devant le miroir et je me suis dit T’es vraiment en train de faire ça ? Oui, de toute évidence. J’ai détaché mes cheveux, je me suis mise à genoux comme elle l’avait demandée, prenant bien soin de garder les yeux baissés. J’ai du tempérament mais c’était notre premier essai. Je voulais voir se dérouler les faits, et je préfère toujours l’humilité à l’arrogance. J’ai donc respiré un bon coup, je me suis rappelée que cette femme était compétente en plus d’être sympa et que mes doutes étaient normaux. J’ai toqué à la porte pour lui indiquer que j’étais prête. En fait j’avais hâte.
Une des choses qui me revient particulièrement en tête c’est qu’Inanna – je l’appelle alors Madame – m’expliquait ce qu’elle faisait. Elle a pris le temps car elle savait que je faisais mes premiers pas. Elle m’a expliqué la symbolique du collier. Elle m’a fait sentir le latex et le cuir. J’ai pris le temps de les rencontrer. Plus tard elle m’a (ré)-appris que le ou la soumis.e n’est pas passif.ve, qu’il ou elle est une partie intégrante de la relation D/S. Ça aussi c’est une information basique. Comme quoi.
Dès lors Madame pince, mord, crache, frappe. Elle caresse aussi, rit, lèche, touche. Elle m’immobilise, me fait présenter, autorise puis interdit. Elle interroge, réclame, et s’amuse. Elle se donne en spectacle, se moque de moi et me complimente (les deux côtés d’une même pièce que j’affectionne particulièrement – pour moi soumise de valeur n’exclue pas forcément l’humiliation). Elle me fait assez vite remarquer que je supporte mal la douleur et c’est vrai. Même pas niveau un selon elle. La situation en est tellement ridicule que j’en ri. Je suis attachée, les fesses à l’air, avec une femme dont le métier est d’être sadique. Et je suis douillette.
Et tout le temps je me concentre pour ne pas analyser la situation et profiter du moment présent. Mes profs de théâtre me le disaient. Sors de ta tête. Fais. Sois. Sauf que j’ai une personnalité intellectuelle et que je ne peux pas aller contre cela. Donc je prends le problème à l’envers. Ma force c’est mon imaginaire, si je n’arrive pas à décrocher alors je vais projeter. Madame rend la tâche aisée. Elle rit et je ris avec elle.
Beaucoup écrivent ou décrivent la prise de confiance comme des murs qui s’affaissent. Au contraire, mes murs mentaux à moi s’élèvent et je retrouve le calme d’un lieu que je connais bien. Quand je crée, je suis dans la même oasis de quiétude. Le champ des possibles s’ouvre et j’ai soudain l’impression de mieux voir. Je souris comme une folle. Mon cerveau tourne à deux cents à l’heure.
Et Madame est sadique autant qu’elle est généreuse. Elle m’appelle par tous les noms, éclate de rire, et tout le temps la lumière bleue des néons rend ses yeux presque blancs et c’est terriblement délicieux. La musique l’accompagne partout dans la pièce. Quand j’ai le droit de voir je la suis du regard par-dessus mon épaule. Je suis curieuse, avide d’apprendre tout ce que je peux pendant ce temps imparti.
J’ai des mèches de cheveux partout sur le visage mais je les oublie presque. Madame me donne un objectif à atteindre, simplissime. Simplissime mais pas ici, pas dans ce contexte. Elle me rend les rênes pour la dernière ligne droite. Je suis pathétique de manque d’efficacité mais pour la première fois depuis longtemps je m’éclate. C’est un équilibre difficile mais qui fonctionne à ce moment-là. Elle veut que je la regarde. C’est sexy à mort. Bien sûr que je la regarde. Autant que je peux. C’est une question de confiance à ce stade. Elle avait mon respect bien avant ma venue mais l’heure qui touche à sa fin me l’a confirmée au centuple. Cette femme sait ce qu’elle fait. Et elle le fait bien.
La redescente est douce. Tranquille. Quand je me retourne c’est le chaos. Des gants en latex partout. Signe d’une bonne session selon Madame qui redevient Inanna. J’ai l’impression d’avoir passé l’après-midi sur une table de massage.
Je récupère la pince à cheveux qui flotte quelque part dans ma tignasse, la lui rend, la remercie, me délecte du moment présent qui est juste fun. Sous la douche mes tétons me font mal et passer mon tee-shirt devient une mini-épreuve en soi. C’est bon signe. Je m’assois à nouveau avec elle. On prend le temps de débriefer, puis de parler de tout autre chose. Elle me recommande de m’hydrater et de bien manger, me prévient qu’il est possible que je drop après-coup. Apparemment ça arrive. Je trouve l’idée farfelue.
Quand j’arrive chez moi je m’étale sur le lit. Je cherche mes écouteurs et crains un instant les avoir oublié là-bas puis je les retrouve dans ma poche de pantalon. Je mets du Rachael Yamagata, Hozier, The Pirouettes, Florence + The Machine, Jeanne Added. Je déverouille mon téléphone en me disant que je ferais mieux de rester concentrée sur moi. Au bout de quelques secondes je réalise que je ne regarde pas vraiment mon écran. Il me faut de longues, longues minutes, peut-être même une heure avant de me sentir capable de respirer un bon coup et de me mettre en cuisine.
Inanna Justice avait raison.
In conclusion: Highly recommend, would do it again.